Page 5 - Affaire Armstrong
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ARMSTRONG
L’HOMME À ABATTRE ?
Le docteur Jean-Pierre de
Mondenard ne hurle pas avec
les loups. Interrogé sur «l’affaire
Armstrong», ce spécialiste français
de la question du dopage estime
que, plus que le Texan, c’est l’Union
se retrouver au banc des accusés.
PHILIPPE LAMBERT
« Armstrong doit parler. Il ne
Lance Armstrong s’est toujours
retrouvera du crédit que s’il
dopé; il a triché, menti avec
participe au nettoyage du
arrogance. Il a bénéficié de
guardian
playtrue.wada
façon perverse des apports
système dont il a bénéficié »,
de la science et a sans cesse
estime Jean-Pierre de Mondenard.
réussi à «dribbler» la lutte antidopage,
Rien de révolutionnaire !
consacrant du même coup sa faillite. Dans
D’après le dossier de l’Usada,
les aveux «minimalistes» qu’il a consentis en
Lance Armstrong aurait contribué
janvier devant la journaliste Oprah Winfrey,
à la mise en place du système de
Armstrong a parlé de «son cocktail» : EPO
dopage le plus sophistiqué de
(érythropoïétine), testostérone et transfusions.
Il faut y ajouter les corticoïdes et l’hormone
l’histoire du sport. Le docteur de Mondenard
de croissance. Déjà à l’époque où il était traité
s’inscrit en faux contre cette assertion.
pour son cancer du testicule avec métastases

«Les substances que prenait Armstrong sont
pulmonaires et cérébrales (1996-97), il
les mêmes que celles utilisées par Richard
avait confessé aux oncologues de l’hôpital
Virenque il y a 15 ans, à l’époque de l’affaire
d’Indianapolis qu’il recourait à tous ces
Festina, dit-il. Par ailleurs, si le Texan recourait
produits illicites.
aux services du sulfureux docteur Michele
Selon le docteur Jean-Pierre de Mondenard,
Ferrari depuis 1995, bien d’autres coureurs,
(1)
tels Mario Cipollini, Tony Rominger ou
médecin chargé des contrôles antidopage
sur le Tour de France de 1973 à 1975 et auteur
Alexandre Vinokourov, en faisaient autant.»
d’une dizaine d’ouvrages sur la question du
D’autre part, quand, en 2001, le coureur italien
dopage, faire de Lance Armstrong un paria
tient néanmoins de l’injustice
Filippo Simeoni témoigne contre Ferrari
devant la justice italienne, initiative qui lui
et consacre la tentative des
vaudra les foudres d’Armstrong, il se réfère à
instances chargées de la lutte
antidopage, en particulier l’UCI,
des produits classiquement employés par les
cyclistes - EPO, hormone de croissance...
de se dédouaner de leur lourde
« Rien de révolutionnaire ! », insiste
responsabilité dans la propagation d’un
Jean-Pierre de Mondenard.
fléau qui gangrène le cyclisme et le sport
en général. Il parle de désinformation. Car
À ses yeux, nous ne détenons donc aucun
d’une part, le dopage est omniprésent dans
les pelotons depuis des lustres. D’autre part,
indice pour affirmer qu’Armstrong disposait
avant de vilipender Armstrong
d’un système de dopage plus sophistiqué que
après qu’il fut tombé entre les
les autres prétendants à la victoire. En outre,
griffes de l’Agence américaine
la possibilité d’un dopage génétique n’a jamais
antidopage (Usada), l’UCI aurait
été évoquée.
usantidoping
couvert et facilité ses fraudes.
POUR EN SAVOIR PLUS
De Jean-Pierre de Mondenard:
Le dossier noir du dopage, Hachette, 1981.
Drogues et dopages, Quel corps ? 1987.
Dopage aux Jeux olympiques, la triche récompensée,
Amphora, 1996.
Dopage: l’imposture des performances, Chiron, 2000.
Dictionnaire du dopage, Masson, 2004.
La grande imposture, Hugo et Cie, 2009.
36 histoires du TDF, Hugo et Cie, 2010.
Dopage dans le football, la loi du silence, Gawsewitch, 2010.
33 vainqueurs du Tour de France face au dopage, Hugo
et Cie, 2011.
Les grandes premières du Tour de France, À paraître en 2013,
Hugo et Cie.
«On perd son temps»
Pour le médecin français, c’est le « système
Armstrong », et non son programme de
dopage, qui a fait la différence par rapport à
ses adversaires. «Armstrong est le coureur qui
a mis en œuvre le plus de moyens pour arriver
à ses fins : gagner le Tour de France, rapporte-
t-il. D’autres coureurs de grande valeur
tout aussi dopés que lui, comme Alejandro
Valverde ou Jan Ullrich, auraient pu remporter
plusieurs fois l’épreuve, mais ils ne se sont pas
dotés d’une organisation aussi performante
que la sienne.»

Armstrong est-il un bouc émissaire sur le
dos duquel certaines instances essaient de
se refaire une virginité ? C’est l’avis de notre
interlocuteur, qui regrette qu’on parle partout
d’une « affaire Armstrong », alors que ce n’est
pas un homme qu’il faut combattre, mais
le dopage ! «C’est pourquoi l’Union cycliste
internationale doit se retrouver au banc des
accusés, déclare-t-il. Non seulement son action
est inefficace les coureurs dopés continuent le
plus souvent à se jouer des contrôles -, mais
elle a aussi étouffé des affaires et même aidé
Armstrong à passer entre les mailles du filet.»
Petits arrangements entre « amis »
Docteur de Mondenard, vous affirmez que l’UCI a étouffé à deux reprises des affaires de
dopage impliquant Lance Armstrong ?
La première remonte à 1999. Lors du
prologue du premier Tour de France qu’il
Le laboratoire français de Châtenay-Malabry
va remporter, l’Américain et quelques
avait repris des urines prélevées sur les
Tours 1998 et 1999, afin d’expérimenter une
autres coureurs sont testés positifs aux
corticoïdes grâce à une nouvelle méthode
méthode plus performante de détection
de détection.
de l’EPO. En août 2005, on apprend que 12
Que va faire l’UCI ? D’abord, prétendre que flacons sont positifs, dont 6 appartenant
la méthode de dépistage utilisée l’était à
au même coureur. Par un astucieux
recoupement, un journaliste de L’Équipe
titre expérimental. Puis, vu l’ampleur prise
par l’affaire, une réunion de crise va être
parvient à découvrir que le coureur en
organisée entre Hein Verbruggen, alors
question n’est autre qu’Armstrong, lequel
nie et se réfugie derrière le fait qu’on ne
président de l’UCI, et Lance Armstrong.
Il y fut décidé que le coureur se ferait
dispose plus d’un second flacon pour réaliser
remettre, par le médecin de l’équipe US
une contre-expertise dans des conditions
réglementaires.
Postal, une ordonnance antidatée relative
Comment réagit l’UCI ? Elle nomme une
à une pommade à visée thérapeutique
contenant la même molécule que les
commission d’enquête placée sous la
corticoïdes incriminés. Toutefois, ce
responsabilité d’un avocat ne possédant
aucune connaissance dans le domaine des
stratagème finit par être éventé quand la
tests antidopage. Le plus édifiant dans cette
masseuse d’Armstrong dévoila qu’il s’était
histoire est que les investigations n’ont pas eu
fait injecter des corticoïdes 15 jours avant
pour but de découvrir si Armstrong se dopait,
d’être contrôlé et que si le test avait été
mais qui avait organisé les fuites des résultats
positif, c’était parce que le produit n’était
pas totalement éliminé.
des analyses vers l’extérieur...
PROPOS RECUEILLIS PAR
PHILIPPE LAMBERT
De bons tuyaux... Et le second épisode ? cycliste internationale (UCI) qui doit
Travis Tygart, le président de l’Usada, rapporte une
conversation qu’il a eue en 2010 avec Martial Saugy,
directeur d’un laboratoire de pointe lausannois souvent
sollicité par l’UCI. Celui-ci lui aurait confié qu’un
échantillon prélevé chez Lance Armstrong au Tour de
Suisse 2001 était positif à l’EPO (ce qui fut gardé secret)
et que l’UCI lui aurait demandé en 2002 d’expliquer au
coureur et à son directeur sportif, Johan Bruyneel, en
quoi consistait le test de détection de l’EPO. Après avoir
entendu la raison de cette invraisemblable entrevue, le
docteur de Mondenard a conclu, abasourdi : « Je crois
rêver ! »
À quoi aurait donc servi la mort de Tom
Simpson sur les pentes du Ventoux en
1967 ? Et l’affaire Festina en 1998 ? Et l’affaire
Puerto en 2006 ?... À rien ! Jean-Pierre de
Mondenard: «Si l’on traite l’affaire Armstrong
comme les autres, on perd son temps. L’UCI
devrait méditer cette phrase d’Einstein : “On
ne peut résoudre les problèmes avec ceux qui
les ont créés”.»
Jeu de dupes
Contrairement à l’UCI, celui qui fut
chargé des contrôles antidopage
wada-ama sur le Tour de France entre 1973 Et d’ajouter : «Si l’on se réfère à l’ensemble des
et 1975 affirme que les méthodes contrôles positifs sur une année, on trouve une
de détection actuelles sont peu performantes. trentaine de substances différentes, toujours
Armstrong et d’autres, comme Contador, les mêmes. Trente, alors que la liste des
clamaient haut et fort qu’ils n’étaient pas produits interdits en compte 300 ! Que faut-
dopés puisqu’ils avaient été contrôlés plus il en déduire ? Que les laboratoires cherchent
de 500 fois avec des résultats toujours des produits que les sportifs ne prennent plus
négatifs. En réalité, tels qu’ils sont menés, les et que les sportifs prennent des substances
contrôles eux-mêmes constituent un vecteur que les laboratoires ne trouvent pas !»
de propagation du dopage. Pourquoi ? Parce
que les sportifs se rendent compte qu’il est Bref, au-delà des apparences, la lutte
facile de passer au travers. «En novembre 2011, antidopage est un échec cuisant. Le cas
David Howman, directeur général de l’Agence Armstrong est éloquent. Le Texan, dopé, a
mondiale antidopage (AMA), s’exprime gagné sept Tours de France en ridiculisant
devant l’UNESCO. Que dit-il ? Que les 258 267 l’armada des laboratoires antidopage de la
analyses de tests antidopage effectuées en terre entière ! Que conclure, sinon que l’affaire
2010 à travers la planète n’ont révélé que 36 Armstrong n’est pas une victoire de la lutte
cas d’EPO. Il juge cela pathétique ; pour lui, on contre le dopage mais, au contraire, qu’elle en
n’attrape que les “dopés simplets”...», souligne consacre la défaite.
le docteur de Mondenard.
PHILIPPE LAMBERT




(1) Fin janvier 2013, le docteur Ferrari a affirmé, dans un blog sur le website

http://53X12.com, que le dopage n’avait eu qu’un effet placebo sur Lance


Armstrong.

(2) Éditions Hugo et Cie, 2011.
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